Quand j’étais enfant, les sorties en famille à la mer étaient extrêmement rares. À mon grand regret, mes parents ne nous y conduisaient qu’une à deux fois durant l’été. Un jour, on m’a dit « tu dois dormir, la mer est fermée maintenant ». Alors je me suis pris à imaginer un vieux monsieur « fermant » la mer en rabattant une énorme surface de zinc qui partait de la ligne d’horizon jusqu’à la plage et qu’il scellait à l’aide d’un gros cadenas avant de rentrer chez lui. Pour mes frères, mes cousins et moi, ces jours de bord de mer étaient très festifs. On ne fermait pas l’oeil de la nuit. Le matin, on grimpait dans un bus qui passait dans notre quartier, à l’est de la ville, et nous roulions ensuite environ quinze minutes jusqu’à la plage. Sur le chemin, je regardais les passants et je ressentais une certaine pitié pour eux qui n’avaient pas la chance d’aller à la mer. Dès que nous apercevions la ligne bleue au loin, à la fin du trajet, on se mettait à crier d’excitation…

Entre douze et quinze ans, nous nous y rendions à pied avec mes cousins ou les enfants des voisins. Nous marchions une heure. Et nous devions être très discrets parce qu’il ne nous était pas permis d’aller seuls à la plage. On passait la matinée à se baigner, à jouer et on rentrait avant l’heure du déjeuner. Au retour, pour ne pas être punis, on devait faire attention de ne pas passer devant le magasin de mon père, alors tenu par l’un de mes frères et situé sur l’artère principale qui traverse la ville d’est en ouest jusqu’à la mer.

Il y avait sur la plage une section réservée aux Occidentaux qui travaillaient pour l’ONU ou pour d’autres organismes internationaux : le Beach Club. On se baignait parfois juste à côté, ou bien on flânait à proximité pour pouvoir zieuter les femmes en maillot de bain…

Entre 1988 et 1994, je n’ai pas pu voir la mer de nuit à cause du couvre-feu imposé du coucher au lever du soleil, hormis une fois, quand Laura m’a invité à fêter son départ au Beach Club. Ce soir-là, une voiture de l’ONU est venue me chercher à la maison et, sous les regards curieux et intrigués des voisins, je suis monté dans la voiture qui m’a conduit à travers les rues vides et tristes de la ville vers la plage… À la fête, je suis resté seul presque toute la soirée à regarder la mer !

Après les accords d’Oslo et l’arrivée de l’Autorité palestinienne en 1994, le couvre-feu a pris fin et presque tous les habitants de Gaza se retrouvaient sur la plage le soir. Certains apportaient même leurs télés pour ne pas rater le feuilleton égyptien qu’ils devaient suivre depuis les années de couvre-feu… On passait la soirée (parfois jusqu’au petit matin) avec des amis, autour d’une bouteille ou pour boire un café et fumer le narghilé, les pieds dans l’eau, sur les terrasses qui proliféraient comme des champignons le long de la côte. Les prix des consommations étaient alors très bas… Mais, malheureusement, cette impression de légèreté n’a pas duré longtemps. Cet engouement n’était qu’une fausse joie, une accalmie entre deux tempêtes.