Gaza journal intime #3, 1999-2006 / La frontière
Depuis quelques années, et notamment depuis la deuxième Intifada, Rafah, le point de frontière avec l’Egypte est devenu e le seul et unique passage pour les Palestiniens qui souhaitent entrer ou sortir de Gaza. Cette zone frontalière est souvent arbitrairement fermée par Israël pour des périodes allant de quelques heures à quelques mois. Ce passage a toujours été jalonné d’obstacles et de longs moments d’attente. A l’aller comme au retour, je me trouve extrait de la foule avec d’autres jeunes P alestiniens et escorté dans un bus sous garde policière : en « Transit » . A l’aller , les gardes frontière égyptiens nous maintiennent en attente toute une journée avant de nous conduire à l’aéroport du Caire. Au retour , nous sommes obligés de passer la nuit dans une salle de transit à l’aéroport avant d’être conduits le lendemain à Rafah. La première fois que j’ai osé sortir mon appareil photo pendant mon trajet et sur la frontière, c’était à mon retour à Gaza pendant l’été 2003. Outre la nuit passée à l’aéroport de Caire , j’ai été bloqué pendant trois jours dans le no man’s land entre l’Egypte et Gaza aux côtés d’un millier de voyageurs palestiniens venant d’Egypte. Une fois arrivés à Rafah, nous n’avions plus la possibilité d’en bouger, quelque soit la durée de la fermeture des frontières. Les voyageurs se retrouvent en quelque sorte piégés dans cet « entre-deux ». Durant ces longues heures où l’attente est la seule activité, durant ces jours d’immobilité, de fatigue et de stress, photographier fut pour moi un moyen de témoigner et de faire face à cette situation, une manière de réagir et d’exister au-delà des conditions qui nous étaient infligées dans cet espace, un acte de résistance. J’ai pris des photos de façon clandestine, maladroitement, dès la salle de transit de l’aéroport du Caire. Les autres passagers, qui comprirent mon geste, solidaires, m’aidèrent avec discrétion. J’ai enregistré tout le trajet à travers le désert, le paysage à travers les vitres sales du bus, les passagers, le poste frontière égyptien jusqu’au no man’s land , un terrain vague en territoire égyptien où chacun, retrouvant là les familles et les vieillards, attendait de passer la frontière palestinienne contrôlée par Israël pour pouvoir se rendre, enfin, à Gaza. Ce dernier point de contrôle est tellement surveillé et dangereux qu’il m’était impossible de prendre des photos de cet endroit précis.
Taysir Batniji