Réalisée fin 2013, sur une commande du ministère de la culture de Bahreïn

En intitulant Interface sa série de soixante-quatre photographies dont onze sont présentées dans l’exposition Wish You Where Here, Taysir Batniji joue avec le sens d’un terme – commun à la géographie et à l’informatique – qui évoque les notions d’interrelations entre deux espaces différents, de séparation et d’échange… Le titre Interface fait référence au lieu même de la prise de vue, le Royaume insulaire des archipels de Bahreïn qui, littéralement, signifie « les deux mers ». Il introduit aussi à une série d’images qui explorent et privilégient, dans le paysage, l’enregistrement de formes qui sont souvent le contact de deux espaces distincts : des zones intermédiaires, mitoyennes, des limites ou des passages.

Pour Taysir Batniji, photographe, mais aussi sculpteur, dessinateur et vidéaste, le sable, comme l’eau, éléments récurrents dans son travail, sont devenus deux vecteurs communs aux images  d’Interface.  Entre terre et mer, ils symbolisent le littoral, la lisière, le seuil… Le sable, lui, figure la métaphore des métamorphoses du paysage de Bahreïn en perpétuelle construction. Dans ce pays en permanent développement, perçu par l’artiste comme un work in progress, et qui pour s’agrandir gagne du terrain sur la mer, le sable évoque alors l’idée même de lieu du travail en cours… C’est ainsi que la notion d’architecture, et plus particulièrement d’architecture utopique, vient à l’esprit. Les images d’Interface sont des invitations poétiques à inventer des mondes utopiques quand elles donnent à imaginer les conquêtes de l’espace – sur la terre et le sable – que représentent, à l’horizon, des constructions aux formes incongrues. Ou quand elles représentent des paysages vides et lunaires dont le rapport d’échelle est perturbé par le point de vue photographique. Interface, un peu comme le sens informatique du terme le suggère, produit les systèmes d’illusions – presque virtuels – de ces architectures en forme de maquettes, de ces habitats et de leurs volumes, dans un pays qui, se métamorphosant, oscille entre réalité et fiction.

La référence au Land art, enfin, intervient inévitablement dans ces photographies minimalistes, parfois abstraites, où des dunes qui sont aussi des tombes témoignent de ce passage du temps, et, où la présence humaine n’est pas montrée mais suggérée (par des traces au sol ou des objets abandonnés, par exemple). Par ses cadrages, Taysir Batniji met en évidence la vacuité et l’inertie, produisant ainsi un effet de suspension du temps qui apparaît comme le contrepoint de la mutation du lieu.

Dans ces paysages aux couleurs neutres, parfois monochromes, composées de blancs, d’ivoire, de pastel, des fragments chromatiques surviennent dans l’image (un liseré bleu sur du blanc, une couleur rouge, le bleu du ciel…). Ils participent au langage poétique et méditatif de Taysir Batniji et, par là même, à la figuration d’un temps hypnotique, d’un monde suspendu fait d’empreintes, de traces et de contours. L’inter-spatialité de la série Interface est aussi une inter-temporalité.

 

Alexandre Castant

Essayiste, critique d’art, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’École nationale supérieure d’art de Bourges.