Home Away from Home / Mes cousins d’Amérique, 2017
Lorsque je me retrouvais avec mes cousins, chez eux, au travail ou durant les réunions de famille, j’étais constamment à l’affût, mon appareil à portée de main.
Je voulais capter les gens dans leur quotidien, sans être trop intrusif ; avoir une présence délicate, pour saisir des moments furtifs. Si j’ai pris quelques photographies « posées », je me sentais plus à l’aise avec les portraits « en situation », pris spontanément. Captation de l’entre-temps.
Le fait d’être plongé dans une atmosphère familiale m’a permis de prélever des moments que je ne pouvais vivre ou voir que de l’intérieur, par ma présence. Bien entendu, cette intériorité, l’absence de frontière entre les autres et moi, entre Taysir le cousin et Taysir l’artiste, n’a pas été facile. Ma participation pleine et entière à la vie de mes cousins ne me permettait aucune distanciation par rapport au sujet et ne me donnait aucun répit. Inutile de préciser que je suis
également devenu un oeil extérieur, une tierce partie, le réceptacle de notre histoire familiale. Ce qui, pour quelqu’un de silencieux et discret comme moi, était loin d’être confortable.
Dès le début de mon séjour, un phénomène étrange et troublant s’est produit. Alors que j’observais les visages, les gestes, les expressions et les comportements de mes cousins, je me suis mis à voir, à travers eux et de façon récurrente, les fantômes des autres membres de la famille. En Ahmed, j’ai vu sa mère, ma tante Salha ; puis mon père, décédé en 1994. En Sobhi, j’ai vu son frère Mosbah, ce qui donnait un sentiment de d.j. vu, une forme de liens familiaux
qui s’étendaient à travers l’espace et le temps : mes cousins sont devenus des « étrangers familiers ».